Incapable d'écrire. On se retourne subitement sur trois années passées à rien foutre. Comme amputé d'un sens. Est-ce qu'il ne s'est donc rien passé qui mérite d'être dit? On ne peut considérer comme superflu de savoir écrire que jusqu'au jour où l'on perd ce don de capter les choses, de maîtriser la langue, de faire parler les mots. Et ces années à écrire du vide, à manipuler des idées pour former des démonstrations inutiles, abreuver ces imbéciles de paroles creuses, leur faire miroiter des originalités et des audaces qui ne sont que des faiblesses, des relâchements d'un style trop parfaitement mis au diapason de leurs académiques exigences. Il faudra réapprendre. Et l'imagination? Suis-je encore seulement capable de me projeter là-bas, dans ces mondes que je créais moi-même et qui avaient un sens, ces mondes imparfaits et grouillant de différence qui venaient mettre à l'épreuve le gris de la réalité. Je vois des choses, je sens des idées. Mais je suis devenu fainéant, attentiste. Défaitiste peut-être. Certains vous créent déjà des échappatoires si attrayants, des toiles si bien agencées qu'on y retrouverait facilement son propre visage. Mais ces toiles ne sont pas les miennes, ces couleurs que je ne reconnais pas.. Ne pas rester un artiste frustré tout sa vie. Un type rangé qui par dépit bosse avec ceux qui ont eu le courage d'y consacrer leur vie, qui sort le samedi, appareil à l'épaule, pour aller photographier des cailloux tant qu'il n'est pas encore tout à fait aveugle, qui critique sans doute et étale ce qu'il croit pouvoir trouver de savant pour compenser son ignorance. Qui joue du piano sur le rebord de son bureau en réalisant de complexes combinaisons de touches qu'il n'a jamais effleuré. Qui rêve de ce stylo luxueux qui lui procurerait la joie d'écrire, d'écrire la main légère et le geste rapide. Comme s'il pouvait créer à partir de l'objet plutôt que de l'esprit. Fatigué. Incapable d'écrire.

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